Philippe Chopard: Ingénieur chef de projet, Bonnard & Gardel
Ingénieurs-conseils SA, Suisse
Alan Weatherill: Responsable du groupe "Ventilation", Bonnard &
Gardel Ingénieurs-conseils SA, Suisse
Maintenant terminée, une modification notable du circuit de climatisation et de ventilation a été effectuée. La longueur des galeries nous amène à évoluer vers un circuit équipé de sas et de parois étanches. Ceci pour permettre aux hommes de travailler dans des conditions moins contraignantes, car le volume de galeries à rendre acceptable en température aura diminué quasiment de moitié. La puissance de climatisation a été augmentée de 1MW. Les mouvements d'air frais et vicié dirigés plus précisément.
1 - PRÉSENTATION GÉNÉRALE
Le tunnel de base du Lötschberg
(dont le Maître d'ouvrage est la société BLS AlpTransit
AG, Berne) constitue l'un des deux tunnels ferroviaires de base (avec le Gothard)
projetés par la Suisse à travers les Alpes. D'une longueur de
35 km, il représente l'ouvrage majeur de l'axe Nord-Sud Lötschberg-Simplon
qui relie l'Europe du Nord à l'Italie. C'est un maillon essentiel des
Nouvelles Lignes Ferroviaires Alpines (NLFA), lignes à grande capacité
à travers les Alpes, et qui seront réalisées par la Suisse
pour permettre le développement des trafics voyageurs et marchandises
à l'aube du troisième millénaire.
La mise en service est agendée au début de l'année 2007.
Les coûts de construction sont estimés à 3,6 milliards de
francs suisses.
L’exposé définit le concept à la base du dimensionnement
de la ventilation et de la réfrigération, ceci en phase de percement
du tunnel (chantier) dans l’attaque intermédiaire de Ferden et
présente les difficultés rencontrées et les solutions envisagées.
Les conditions climatiques en galerie au cours du percement du tunnel de base
du Lötschberg dans le Lot Ferden apparaissent à plus d'un titre
comme sortant de l'ordinaire;
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Figure 2 - Température du massif le long du tunnel et profil géologique. La marge d’incertitude sur la température est indiquée par le fuseau.
par exemple:
-L’excavation des tubes du tunnel de base à partir du pied de la
descenderie de Ferden, longue de 4,1 km à 12 %;
- La longueur importante des attaques, soit 2 tubes sur 6.5 km en direction
Nord et 2 tubes sur 2 km en direction Sud;
- La complexité géométrique des ouvrages annexes (cavernes,
galeries d'accès, gare souterraine et changements de voie);
- Et pour terminer, la forte profondeur du tunnel, qui est à l'origine
des températures élevées de la roche, dépassant
45°C sur certains tronçons (couverture maximale de 2100 m);
Pour apporter une réponse à la mesure de ces contraintes peu banales,
le concept de ventilation prévoit la réalisation d'un puits d’extraction
de l’air vicié, ainsi que la mise en place d'un système
de réfrigération artificielle d’une capacité de 5
MW thermiques. Ces mesures conjuguées doivent permettre de maintenir
la température dite sèche à 28°C sur les places de
travail en souterrain, conformément aux exigences des services de surveillance
de la santé.
La cheminée de ventilation fait également partie intégrante
du concept de sécurité incendie du tunnel en exploitation.
.
Figure 3 - Tunnel de base du Lötschberg; disposition du Lot Ferden.
2 - DONNÉES GÉOLOGIQUES ET GÉOTHERMIQUES
Les formations géologiques
en présence sont avant tout des gneiss, des schistes cristallins et des
granites. La couverture rocheuse est très importante sur tout le tracé.
Elle dépasse 1500 m sur un linéaire de 10 km, avec un maximum
de 2100 m.
La température maximale du massif attendue est élevée,
en raison de la forte profondeur. Les valeurs annoncées par le géologue
dépassent par endroits 45°C, avec une plage d'incertitude importante.
Les maximas sont attendus à 3 km en direction nord. Cet ordre de grandeur
a été confirmé ponctuellement dans plusieurs forages profonds
réalisés depuis la surface.
3 - EXCAVATION À PARTIR DE FERDEN
Le Lot Ferden des travaux du
tunnel de base est un lot de travaux "médian", du fait que
le tunnel est excavé à chaque fois sur 2 tubes dans les deux directions
nord et sud à partir du pied de la descenderie de Ferden.
A leurs extrémités, les attaques rencontrent les excavations menées
à partir de la Vallée du Rhône au sud et de la descenderie
de Mitholz au nord.
Cette disposition résulte d'une contrainte de planning selon laquelle
le percement du tunnel devait être réalisé avant octobre
2004. (mission accomplie le 29/10/03 pour le sud)
La descenderie de 4,1 km à 12 % constitue la seule voie d'alimentation
du chantier du tunnel à sa base. Une place d'installation en souterrain
disposée dans plusieurs cavernes au pied de la descenderie permet d'assurer
la maîtrise des différents flux.
Comme on peut s'en rendre compte, une activité très intense régne
en souterrain dès l'ouverture des attaques des quatre fronts d'excavation
nord et sud; il y a plus ou moins 100 ouvriers sur ces différents chantiers
en souterrain. Il est donc fondamental de garantir des conditions climatiques
satisfaisantes en galerie.
Les excavations du Lot Ferden sont réalisées par minage dans les
roches essentiellement cristallines. La cadence est estimée à
un avancement moyen de 7,5 m par journée de travail, avec horaire continu
sur 24 heures, 7 jours /7.
4 - CONCEPT DE VENTILATION
La ventilation de chantier est
soumise aux prescriptions de l'organe de contrôle de l'hygiène
du travail de la Caisse Nationale d'Assurance Accident (SUVA).
Celui-ci fixe les valeurs de concentration maximum (valeur moyenne d'exposition
VME) des substances nocives dans l'air sur les emplacements de travail. Il définit
aussi les valeurs du débit minimal d'air frais en fonction de la puissance
nominale des engins de chantier Diesel engagés, de l'emploi d'explosifs
(minage) et de la présence de gaz dans le massif rocheux.
Une alimentation suffisante en air frais et qui présente toutes les garanties
de sécurité est indispensable dans le Lot Ferden, étant
donné la longueur des attaques et leur disposition en pied de la descenderie
de 4,1 km.
Le respect des prescriptions de la SUVA, la présence potentielle de gaz
sur certains tronçons et le souci général de mettre en
place un système d'alimentation d'air frais de qualité ont conduit
à adopter le schéma de ventilation reproduit à la figure
4.
L'alimentation en air frais se fait en pleine section par la descenderie de
Ferden. A la base de la descenderie l'air frais est distribué vers les
différents fronts d'excavation et la place d'installation en caverne.
La circulation de l'air dans les 2 tubes du tunnel, toujours en pleine section,
est réalisée en boucle à partir de la galerie de liaison
intertube située le plus près des fronts. Les fronts sont alimentés
par une ventilation soufflante secondaire au moyen de ventubes sur une longueur
maximale de 1500 m.
Cette disposition est opérationnelle depuis le début des attaques
principales. Elle permet de garantir les débits importants nécessaires
jusqu'à 200 m3/s. A ce débit, correspond une vitesse du courant
d'air de 11 km/h dans la section de la descenderie.
L'air vicié est évacué par la galerie et le puits de ventilation
de Fystertelläe. Le ventilateur principal est disposé en caverne
à la base du puits. D'une puissance de 1,25 MW, il assure la circulation
d'air par aspiration; un système de diaphragmes et de sas permet de régler
les différents débits en galerie.
Figure 4 - Schéma de ventilation
Cette solution offre une
grande sécurité en cas d'incendie, le rejet de l'air vicié
étant complètement dissocié de l'amenée d'air
frais.
La caverne, la galerie et le puits de ventilation font parties intégrantes
du concept de ventilation incendie du tunnel en exploitation.
5 - CONDITIONS CLIMATIQUES EN GALERIE
5.1 Aspect médical
Le dégagement important
de chaleur et d'humidité par le massif rocheux, auquel il convient d'ajouter
les apports de chaleur des machines de chantier, font que le climat régnant
en galerie peut être pour le moins qualifié de chaud et humide.
En raison des différents apports d'eau, l'humidité relative de
l'air pourra avoisiner 100 %.
Ces conditions extrêmes posent problème et éprouvent fortement
l'organisme humain quand il s'agit de réaliser un travail pénible
de chantier.
Les risques pour la santé sont médicalement bien connus, et comportent
toutes les manifestations d'hyperthermie qui, selon les cas, peuvent avoir rapidement
des conséquences graves.
C'est pourquoi les conditions climatiques lors du travail en climat chaud et
humide sont strictement réglementées (en Suisse par l'organe de
contrôle de l'hygiène du travail de la SUVA).
5.2 Réglementation sur le climat en souterrain
Il existe différents
critères permettant d’évaluer l’incidence des conditions
climatiques du tunnel sur le corps humain:
- la norme internationale ISO 7243: WBGT
- en France: l’indice de température résultante
- en Suisse: la température limite selon les prescriptions de la SUVA
- en Allemagne: l’indice de température effective.
Ces quatre références permettent de calculer une température
résultante théorique qui tient compte de la température
de l’air, de son taux d’humidité et de la vitesse du courant
d’air. L’indice WBGT prend également en compte la chaleur
de rayonnement sur les places de travail (température du globe noir).
Les valeurs limites à respecter pour une journée de travail normale
de 8 heures sont les suivantes:
- Température WBGT: 28°C
- Température effective (Allemagne): 25°C
- Température résultante (France): 26°C
Les températures sèches maximales admissibles selon les critères
SUVA (Suisse) pour travaux pénibles, la température effective
< 25°C (Allemagne) et la température résultante < 26°C
(France) sont comparées à la figure 5 pour différents taux
d’humidité. La vitesse du courant d’air est fixée
à 7 km/h.
On observe sur cette figure peu de différences entre les références
consultées appliquées à un climat humide.
Figure 5 – Comparaison des différents critères d'évaluation du climat en souterrain.
Diagramme donnant la limite climatique(courbe jaune) de travail en fonction de la température et de l'humidité relatives de l'air pour les travaux souterrains. Par exemple, un travail de 8 heures à 100% d'humidité à 28°C se situe dans la courbe, ou 30°C avec 80% d'humidité, le cas le plus fréquent actuellement. Mais ces chiffres sont variables en fonction des travaux effectués au front: foration, marinage ou gunitage(béton projeté)ou l'arrêt de la ventilation avant un tir.
6 - BILAN THERMIQUE
6.1 Charges thermiques
Les charges thermiques identifiées proviennent principalement du massif rocheux et des engins et activités de chantier.
6.1.1 Massif rocheux
La charge thermique provenant du massif est élevée. La chaleur
dégagée par la roche est maximale dans la zone d’attaque,
où la roche n’a pas encore été refroidie par la ventilation.
Elle culmine à 3 km en direction nord où la température
du massif s'élève à 45°C.
6.1.2 Engins et activités
de chantier
Les activités de chantier sont également productrices de chaleur.
Si dans les conditions de percement habituelles (tunnel sous couverture moyenne
avec température de la roche avoisinant 15°C) elles ne portent pas
à conséquence, elles constituent dans ce cas une source de chaleur
supplémentaire à charge.
Dans une excavation par minage, elles ont été estimées
à 650 kW en moyenne. Elles résultent principalement des activités
de forage, de marinage, de transport et de réalisation du soutènement
en béton projeté (chaleur d'hydratation).
Les valeurs indiquées ci-après correspondent à un avancement
de pointe de 12 m sur 24 heures.
Forage |
45kW |
Minage |
80kW |
Chargeur |
200kW |
Ancrage |
120kW |
Ventilation |
160kW |
Marin |
40kW |
Total
dans la zone du front |
650kW |
6.2 Calcul du climat dans le tunnel
Le bilan thermique a été
établi en considérant le développement dans le temps des
charges thermiques mentionnées en interaction avec le processus de forage
du tunnel.
Il prend de la sorte en compte:
-La géométrie des attaques.
- La température originelle du massif.
- Les caractéristiques thermiques du massif, à savoir conductibilité
thermique, chaleur massique, diffusivité thermique des différentes
formations géologiques.
- Le périmètre humide de la cavité du tunnel
- Les charges thermiques de chantier, en particulier les charges induites par
le marinage.
- L’histoire de chaque attaque et la vitesse d'avancement.
- La ventilation et les conditions climatiques extérieures.
6.3 Méthode de calcul
Le calcul du climat en galerie
a été réalisé avec le logiciel développé
par Bonnard & Gardel. Ce programme a été validé par
comparaison avec d'autres approches.
L’évolution de la température le long de la galerie est
calculée à partir de la température extérieure de
l’air pour des tranches du tunnel de 10 m de long. Seul le transfert de
chaleur radial provenant du massif est pris en compte, le transfert axial est
négligé.
Le calcul du transfert de chaleur en galerie est un problème de conduction
thermique radiale instationnaire qui peut être défini en coordonnées
cylindriques par une équation différentielle:
dont la solution mathématique est développée dans l’ouvrage
de Carslaw and Jaeger [12] sous la forme d’une série de fonctions
de Bessel pour différents nombres de Fourier et de Biot.
6.4 Conditions climatiques sans refroidissement
Les résultats du calcul
de la température de l’air en galerie pour les tubes nord sont
présentés dans la figure 6. Considérons tout d'abord la
courbe de température la plus élevée. Le tunnel n’est
pas équipé à ce stade de système de refroidissement,
hormis la ventilation forcée. Les calculs prennent en compte un débit
de ventilation de 100 m3/s dans la boucle nord et 100 m3/s dans la boucle sud.
Pour mémoire, la température sèche limite de l’air
est fixée à 28°C.
Cette condition est respectée dans les deux tubes sud, en raison de la
température moyennement élevée de la roche. Le débit
de la ventilation principale est suffisant pour maintenir la température
en dessous de 28°C.
A l'opposé, dans les tubes nord, la température attendue monte
à 34°C et dépasse la limite de 28°C fixée; un système
de réfrigération artificielle s'avère nécessaire.
Les zones critiques se situent aux fronts nord et au retour de l'air en pied
de la descenderie.
Figure 6 - Courbes de la température de l'air en galerie sans et après mise en place du système de réfrigération artificielle.
7.1 Puissance de froid nécessaire
La demande de froid pour abaisser la température moyenne maximale en dessous de 28°C en galerie est estimée à 3 MW. Si l'on considère les incertitudes qui entachent les estimations de la température du massif, la puissance requise peut monter à 5 MW (cf. figure 7).
Figure 7 - Puissance de froid en fonction de la température
A une augmentation de 1°C de la température extérieure correspond une demande de froid supérieure de 250 kW. L'illustration simplifiée du bilan thermique est donnée à la figure 8. La décomposition des charges thermiques par nature et les parts de la réfrigération assurées par la ventilation et par le système de réfrigération apparaissent.
Figure 8 - Charges thermiques et de refroidissement.
7.2 Système de réfrigération
Un système de réfrigération
artificielle sera mis en place en galerie. Le concept prévoit la réfrigération
par circulation d'eau froide (cf. figure 9). L'eau de la rivière Lonza
est prélevée dans le lac artificiel du barrage de Ferden. Elle
est filtrée, puis parvient au niveau du tunnel par le puits de Fystertellae;
cela représente une dénivellation de 567 m.
L'eau froide est ensuite amenée en galerie par des conduites isolées
(coefficient de transfert < 2.5 W/°K*m2); plusieurs échangeurs
mobiles à convection, d'une puissance unitaire de 300 à 500 kW,
sont disposés aux fronts et en galeries; ils assurent la réfrigération
des postes de travail. Au retour, l'eau réchauffée remonte par
le puits et est restituée au lac. Le débit d'eau maximal est estimé
à 300 m3/h.
La température de l'eau prélevée à la rivière
est de 4 à 8°C selon la saison; ce bas niveau de température
est essentiel au bon fonctionnement de l'installation; il s'agit pour l'essentiel
d'eau de fonte de glacier. Le débit relativement élevé
de la rivière Lonza fait que la condition légale qui limite le
réchauffement du cours d'eau à 3°C est respectée, aussi
en hiver.
Un système mécanique de réduction et de transfert de pression
permet de supprimer le pompage dans le puits sur une hauteur de 567 m en exploitant
la pression de la colonne d'eau, tout en maintenant le circuit d'eau en galerie
à un niveau de pression bas.
Figure 9 – Système de réfrigération par circulation d’eau froide.
Le lot de travaux de Ferden
du tunnel de base du Loetschberg présente des conditions de réalisation
qui sortent de l'ordinaire. La grande couverture rocheuse fait que les conditions
climatiques attendues en galerie sont très sévères; selon
les estimations du géologue, les températures de la roche peuvent
atteindre 45°C.
Conformément aux prescriptions édictées par l'organe de
contrôle de l'hygiène du travail, la température de l'air
de 28°C ne doit pas être dépassée en galerie. Ceci nécessite
la mise en place d'une réfrigération artificielle de 3 à
5 MW selon les niveaux de température rencontrés.
Un système de réfrigération par circulation d'eau froide
a été mis en place, avec disposition d'échangeurs mobiles
en galerie. Le système prévu se caractérise par sa simplicité
de conception, et constitue par là même une solution économique.
Il est rendu possible par la présence d'eau de fonte relativement froide
dans la rivière Lonza et ne nécessite pas l'installation d'une
pompe à chaleur consommatrice d'énergie.
9 - LISTE DES RÉFÉRENCES
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Sources:BG Ingénieurs-conseils SA
Av. de Cour 61 - CP 241
CH-1001 Lausanne